Wednesday 21 September 2011

For french speaking friends


J’aurais voulu leur expliquer : Non ! Ce n’est pas ce que vous pensez !

« Taisez-vous ! », hurlai-je au beau milieu du parking. Les enfants se figèrent. « J’en ai marre de vous entendre pleurnicher ! » criai-je, en jetant un coup d’œil alentour pour m’assurer que personne ne nous regardait. J’étais hystérique.

Non ! Ce n’est pas ce que vous pensez !

Mon fils me regardait avec un regard ébahi, surpris qu’il était, perché sur son vélo au milieu du parking. Mes deux autres enfants qui se tenaient près de moi gardèrent les yeux baissés. J’entendis alors le grincement d’un caddy qui s’approchait. Je craignais de me retourner et de voir une maman impeccable accompagnée de sa progéniture, tous sages comme des images, ou peut-être un gentil papa tenant la main de son fils pour traverser le parking. Que penseraient-ils de moi ?

J’aurais voulu leur expliquer : Non ! Ce n’est pas ce que vous pensez !

Nos merveilleuses vacances au Moshav Mattityahou, un très accueillant petit village pastoral situé au centre d’Israël, touchaient à leur fin. Les rues désertes étaient bordées de pelouses verdoyantes encadrant de petites maisons désuètes, leurs terrasses jonchées de vélos abandonnés là par les enfants.

Nous y avions séjourné quatre jours. Pendant les matinées torrides nous étions restés dans la fraîcheur de l’air conditionné à jouer au Rummikub, tout en grignotant des céréales sucrées. L’après-midi nous partions nous rafraîchir, à la piscine ou sur un bateau loué pour une promenade. Le soir les grands allumaient un barbecue, pendant que les petits se goinfraient de hot-dogs au ketchup et de frites à moitié cuites.

L’après midi ils râlaient d’avoir à marcher en pleine chaleur jusqu’à la piscine

C’est en tout cas comme ça que les enfants auraient décrit le séjour. Ce qui n’est pas mentionné, c’est que durant ces matinées torrides les enfants se plaignaient de n’avoir que des céréales auxquelles ils n’étaient pas habitués. L’après midi ils râlaient d’avoir à marcher en pleine chaleur jusqu’à la piscine (« On ne peut pas y aller en voiture comme tout le monde ?). Le soir les petits se battaient pour souffler sur les braises du barbecue, pendant que les grands rigolaient parce que j’avais mis la sauce sur la viande avant de la mettre sur le feu : « Comment peut-on être aussi bête ! ».

Mais je savais que ce n’est pas de cela qu'ils se souviendraient, et moi non plus d’ailleurs. Parce que j’avais pris soin d’amener, bien calée entre les vélos, les bouées et les ballons, une très grosse dose de patience. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas prêté attention à leurs complaintes. J’étais restée au-dessus des critiques, et j’avais maintenu l’image parfaite de notre famille que mon mari et moi avons eu tant de mal en construire. J’avais calmé les disputes autour du barbecue, et tout le monde avait profité du séjour.

Mais en me voyant maintenant, on ne dirait pas la même chose.

Pendant quinze secondes, trempée de sueur, j’ai perdu les pédales.

Voici que le dernier jour des vacances, je ne parviens pas à retrouver l’arrêt de bus où nous étions convenus de nous retrouver, avec mon mari et le reste des enfants. Soudain, en pleine chaleur, en train de courir derrière les enfants sur leurs vélos pour arriver à temps à l’arrêt du bus, une pensée traversa mon esprit. « Qui diable prend un bus pour rentrer de vacances, quand on a trois vélos à ramener ? »

« As-tu idée à quel point j’ai chaud ? »

« Tu as dit que nous rentrerions en taxi, et maintenant tu as changé d’avis, ce n’est vraiment pas sympa ! »

C’est comme ça que pendant quinze secondes, trempée de sueur, j’ai perdu les pédales.

Ne me jugez pas sur un moment de faiblesse, implorais-je en silence l’individu au caddy. Si vous m’aviez vue pendant ces trois derniers jours, vous me jugeriez complètement différemment. Vraiment ! J’étais un modèle de calme et de patience !

Et là, dans le parking, je me suis souvenue d’un épisode lointain.

Quelle merveilleuse occasion d’approcher cette femme

Il y a deux ans, mon mari et moi étions partis pour un voyage de deux jours à Haïfa. Nous attendions à l’arrêt du bus, une douce brise soufflait, qui annonçait le retour du printemps, et les montagnes au loin se détachaient sur le ciel bleu. Et alors je la vis. Elle, Mme. B. ! Celle qui avait donné cette conférence à laquelle j’avais assisté il y a plusieurs années. Comme je l’avais admirée ! Elle avait un doctorat en psychologie en plus de connaissances encyclopédiques en Torah qu’elle citait sans effort. Et maintenant elle était là, assise à côté de son mari. Quelle merveilleuse occasion d’approcher cette femme d’habitude tellement occupée, pendant que nous attendions l’autobus.

Mais quelque chose m’a retenue. Une irritation dans sa voix. J’ai alors aperçu son mari, assis dans un fauteuil roulant, les mains posées sur ses jambes dans une position impossible, comme convulsées. Ça m’est revenu. J’avais entendu qu’elle s’occupait de son mari handicapé depuis des décennies. Quelle femme incroyable ! Mais quelque chose me retenait malgré tout.

Elle parlait durement. « Tu sais quoi ? Si tu ne veux pas venir, ne viens pas. Je ne sais pas quoi te dire. Tu veux me gâcher ce plaisir. C’est cela que tu veux ? Ça ne me fait plus rien maintenant. »

Son pauvre mari balbutia des excuses, mais elle semblait ne plus l’écouter. Elle se détourna légèrement de lui, dans une posture froide.

Je vous en prie, ne me jugez pas sur un instant de faiblesse,implorait-elle.

Je n’en revenais pas. Cette femme qui se faisait passer pour un modèle à imiter n’était donc qu’une sorcière déguisée ! Etait-ce la toute son abnégation pour son mari handicapé ? En un instant j’avais perdu l’estime que je lui portais. Je ne lui adressai pas la parole ce jour là. Pendant plusieurs années, chaque fois que son nom apparaissait sur la liste des intervenants, je fronçais les sourcils. Comment pouvait-on apprendre d’elle quoi que ce soit ?

Et voilà que soudain, sur ce vieux parking sale, son image me revenait. Cette Mme. B qui, comme moi, était peut-être ce jour là au bout du rouleau. Cette Mme. B. qui s’était occupée de son mari jour après jour pendant tant d’années. Cette Mme. B. qui avait mis au placard tant de rêves et d’ambitions pour s’occuper uniquement de son mari qu’elle aimait.

J’évoquais maintenant son visage. Je vous en prie, ne me jugez pas sur un instant de faiblesse, implorait-elle.

A Rosh Hashana, nous passons en jugement devant Dieu. Voulons-nous être jugés sur nos moments de faiblesse et de désespoir ? On préférons-nous être considérés dans notre ensemble, avec un accent mis sur nos qualités ? Et si nous prions Dieu de fermer les yeux sur nos échecs, pourquoi nos prochains ne pourraient-ils bénéficier de la même faveur ? Pouvons-nous demander à Dieu d’être tolérant avec nous si nous ne le sommes pas avec les autres ?

J’imaginais le visage de Mme. B. Ses paroles traversaient la lourde atmosphère qui nous séparait. « Je ne suis pas parfaite. Ne me jugez pas. »

« Même pas en rêve », murmurai-je doucement. Je me tournai alors vers les enfants avec un grand sourire, et je les dirigeai vers l’arrêt du bus.

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